Pourquoi un observatoire ?

Pourquoi s'intéresser au domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche ?

L’égalité est aujourd’hui une valeur essentielle des Universités. Pour cette raison, les discriminations constituent des pratiques inacceptables contre lesquelles les institutions actuelles s’engagent à lutter. Cependant, il n’en pas toujours été ainsi.

Créées à partir du XIIIe siècle, les Universités françaises excluent les femmes et les hommes qui ne sont pas catholiques. D’une manière générale, on peut considérer que l’accès aux Universités, aujourd’hui fondé sur des critères académiques, reposait au départ sur des appartenances sociales [Goastellec 2020]. Il a donc fallu de nombreuses transformations pour que les personnes de tout sexe et de toute origine puissent accéder en droit et en réalité à l’enseignement supérieur. Il en a fallu davantage pour qu’elles puissent occuper des positions dominantes dans ce système, décider de ses modes d’organisation ou de gouvernance, participer à la construction et à la diffusion des savoirs. Or les Universités ne sont pas seulement des reflets des sociétés de leur temps, elles produisent des hiérarchies, peuvent aider à les modifier ou à les renforcer.

Il est donc nécessaire d’interroger l’enseignement supérieur au prisme de l’égalité, en diachronie et en synchronie grâce à diverses disciplines, pour permettre aux institutions de mettre désormais en œuvre les valeurs d’égalité et d’universalité revendiquées. Il faut d’une part établir des faits et d’autre part les analyser. La compréhension des mécanismes de production des inégalités et la mesure des discriminations apparaissent comme des exigences pour progresser dans la transformation des Universités d’une part et pour que ces dernières puissent jouer à leur tour un rôle d’actrices de transformation sociale. 

Dans le milieu de l'enseignement supérieur et de la recherche, le fait discriminatoire est a priori difficile à concevoir. En effet, cela va à l'encontre des valeurs d’égalité et d’universalité qui sont au fondement du projet universitaire. De plus, le fait de discriminer restreint l'espace de recrutement et prive de compétences : il s’agit donc d’un comportement irrationnel, contraire à l’intérêt de sa formation et de son établissement.

Pourtant, plusieurs faits montrent que le milieu de l'enseignement supérieur et de la recherche n'est pas imperméable au risque discriminatoire.

  • Le rapport du Haut Conseil à l'Égalité publié en novembre 2021 montre que les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche constituent un phénomène massif et banalisé, mais sous-estimé et méconnu, l’omerta et l’impunité restant la règle.
  • Le sujet est pris au sérieux : selon le récent rapport du MESRI (janvier 2022), chacun des 181 établissements de l’enseignement supérieur a adopté un plan Égalité, incluant la lutte contre les discriminations (conformément à l’Article 80 de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019).
  • Des tests ont déjà montré que des discriminations existent aussi dans la sphère publique, notamment dans l’accès à l’emploi public (L’Horty, 2016 ; Challe et al., 2018 ; Petit et al., 2020).
  • D’autres travaux expérimentaux ont montré que les enseignants et enseignantes étaient victimes de leurs stéréotypes sur les chances de réussite des étudiants et étudiantes dans leurs évaluations (Alesina et al., 2018 ; Papageorge et al., 2020).
  • Même si des jurys sont légalement constitués pour toutes les formations, les responsables de formation prennent souvent en pratique leurs décisions de manière isolée, surtout pour les formations de niveaux master où les effectifs sont réduits.

Les discriminations : un problème d’objectivation

Parmi toutes les formes de violences, la discrimination est l’une des moins visibles. Du point de vue de la victime, elle se traduit par un refus d’accès à une ressource donnée (un emploi, un logement, un service public, etc.), dont les causes peuvent être multiples (et pas forcément identifiables). Du point de vue de la personne qui discrimine, la discrimination peut être inconsciente. Même si elle est consciente, l’auteur ou l’autrice de la discrimination n’a pas d’intérêt à révéler son comportement, car il s’agit d’un délit.

La mesure directe sur des bases de données pré-existantes est quasi-impossible :

  • Les sources d’entreprises ou les statistiques publiques documentent des différences de situation, des inégalités, mais pas des différences de traitements dans un processus d’accès à une ressource sur la base d’un critère prohibé ;
  • La plupart des critères prohibés sont inobservables dans les bases existantes (origine, sentiment religieux, orientation sexuelle, handicap, etc.) ;
  • Des données de candidatures (par exemple, des données de concours de la fonction publique) permettent difficilement de réaliser des mesures toutes choses égales et ne couvrent pas tous les critères prohibés (Bréda et Hillion, 2016 ; Greenan et al., 2019).

Ainsi, observer les discriminations suppose un appareillage spécifique.

Mesurer les discriminations : plusieurs sources

Il existe trois sortes de dispositifs d’observation des discriminations, de portée systématique.

Deux reposent sur l’expérience des personnes discriminées :

  • Les signalements spontanés (exemples : rapports annuels du Défenseur des Droits ; cellules d’écoute ; 3928, www.antidiscriminations.fr)
  • Les signalements sollicités : les enquêtes de victimation (exemples : enquête Trajectoires et origines INED-INSEE ; projet ACADISCRI)

Le troisième consiste à observer directement le comportement des discriminants :

  • Méthode du testing : audit par couple (personnes réelles) ; test par correspondance (personnes fictives). Le test par correspondance s’est progressivement imposé comme la méthode de référence dans la littérature scientifique internationale sur les discriminations (Baert, 2017 ; Bertrand et Duflo, 2017 ; Neumark, 2018).

Le testing : avantages et inconvénients

Les enquêtes ou les réclamations ont un avantage : les échantillons peuvent être potentiellement représentatifs. Néanmoins, il existe plusieurs limites :

  • Les personnes discriminées ne sont pas toujours les mieux placées pour être témoins des discriminations : il s’agit d’un biais de non observation ;
  • Lorsqu’elles le sont, elles peuvent ne pas souhaiter se signaler en tant que personnes discriminées : il s’agit d’un biais de non déclaration ;
  • Même si elles se signalent, le sentiment de discrimination n’est pas toujours une mesure objective de discrimination, en particulier parce qu’on ne raisonne pas « toutes choses égales ».

Les testings ont plusieurs avantages. La mesure est entièrement contrôlée par l’évaluateur ou l’évaluatrice. On peut isoler l’effet de la caractéristique que l’on souhaite tester. On a une mesure fiable, sans biais et « toutes choses égales ».  Cependant, il y a également des limites :

  • La mesure est partielle : sur le marché du travail, on teste en général un petit nombre de professions ;
  • La mesure est ponctuelle (sur une période donnée) ;
  • La mesure est localisée dans un territoire donné (le plus souvent, il s’agit de l’Île-de-France).

C’est le propre de toutes les mesures expérimentales. Pour surmonter ces limites, il faut répéter les testing. Il est également nécessaire de combiner les approches et de les répéter dans le temps : c’est l’objectif que se donne l’ONDES.